Réflexions

We are family

Jeune femme approchant la trentaine, la question de la famille s’impose sans se poser. L’injustice se révèle alors exponentielle. Contractuellement dans un premier temps. En effet, après de longues études, la trentaine constitue la période où se déploient les enjeux d’une carrière intéressante mise en danger ou influencée par le risque que nous comportons en notre « essence » de procréer. Le rôle du père est alors nié par la société qui ne rend pas envisageable le temps partiel chez un homme alors qu’elle transpose volontiers cette adaptation forcée chez la femme telle une donnée doublement discriminante puisqu’elle se traduit en conséquence professionnelle chez cette dernière, qu’elle opte pour une vie de famille ou non.

Dans un second temps, l’injustice se répercute à l’intérieur de la sphère privée. Malgré le fait que nous travaillions le plus souvent également, que nous ne soyons plus guère entretenues, nous sommes encore dans nos contrées « modernes et civilisées », celles qui, en plus d’une carrière, continuent d’assumer les responsabilités liées au  ménage et à l’éducation des enfants, sans parler de l’énorme pression retombant sur notre physique qui se doit de rester ferme et désirable sous peine d’être remplacé. Ne possédons-nous pas d’autre choix que de se résigner à un esclavagisme saupoudré de culpabilité et de bonne conscience ? Devons-nous réellement nous faire à l’idée de la triple journée, du burn-out assuré, du renoncement à soi, qui, de surcroît, ne sera jamais reconnu ou valorisé ; autant dans le monde du travail où vous serez considérée comme une paria démissionnaire réactionnaire qu’au sein du couple qui pour ces raisons précises, finira par s’essouffler ?

Que penser de ces statistiques démontrant que les foyers qui se partagent les tâches sont ceux qui divorcent le plus ? Pour maintenir le navire de la famille à flot la femme devrait-elle donc se sacrifier ? Il est temps d’arrêter ce sadomasochisme qui n’a plus de raison d’exister! Cessons-d’être les complices d’une condition que nous subissons. Si nous croyons avoir dépassé le modèle des années cinquante, il est temps de réaliser que s’il était certes déjà injuste, il ne l’était pas moins que le modèle dominant actuel. En effet, le schéma avait le mérite d’être clair, sans entrer dans d’autres considérations qui mériteraient bien sûr d’être développées, l’homme rapportait l’argent alors que la femme s’occupait de l’intérieur. Aujourd’hui, le rôle de l’homme n’a pragmatiquement pas changé alors que celui de la femme s’épuise sur tous les terrains. Cette régression est d’une tristesse qui n’encourage pas la fertilité.

Pour autant, si nous ne souhaitons pas abandonner l’idée de donner la vie, c’est à nous tous qu’incombe le rôle de se forger un contre-modèle viable, une société qui devrait s’inspirer du modèle scandinave où les droits et devoirs des parents ( hommes et femmes) seraient pris en compte dans le fonctionnement même du système économique. Imaginez une crèche dans chaque lieu de travail ( il y a bien des salles de sport ), des temps partiels équitablement répartis entre hommes et femmes, un monde qui serait finalement prêt à accueillir la famille et les enfants plutôt que de les reléguer dans des sphères qui les excluent au point que l’humanité, sans même parler des femmes, va finir par préférer y renoncer.

De quelle manière s’engager ? C’est avec nos autorités, patrons et conjoints qu’il faut commencer par ouvrir le dialogue. Qui nous entendra si nous ne parlons pas ? Après tout, hommes, femmes, enfants, avons tous intérêt à vivre un modèle familial harmonieux où les forces sans plus s’affronter, se déchirer ou se détruire, partagent, collaborent et échangent. Pourquoi ? Parce que la famille n’est rien d’autre que le reflet de la société et que celle-ci ne fonctionne visiblement pas pour moi, pour elles et eux.

 

Une différence faite maison

« Sois toi-même ! » Impératif qui relève presque de l’injonction paradoxale alors que notre civilisation et ses discours à peine implicites nous suggèrent, pour ne pas dire, nous dictent, un standard à adopter qui dégouline autant sur l’espace privé que dans le monde professionnel sans oublier de passer par le royaume des apparences. Il serait hypocrite d’affirmer que nous ne sommes pas guidés, consciemment ou pas, par ces moules dans lesquels nous ne cessons d’essayer de nous fondre.

Pourtant, éreintés de quotidiennement tenter l’exercice, certains depuis l’adolescence, la frustration de ne jamais coller parfaitement à cette représentation figée de modèles construits sur des reflets de chimères, devrait non pas nous attrister mais nous mener vers le chemin de l’émancipation. Si ressembler aux idéaux actuels autant physiques que sociologiques, en plus d’être concrètement et conceptuellement complexe voir non-viable, ne nous convient pas véritablement, quels arguments nous empêcheraient de décider enfin d’investir dans ce que nous sommes ?

D’ailleurs, à force de tant observer les autres, rêve malsain et voyeur devenu concevable grâce au primat des réseaux sociaux, à tant se comparer, avons-nous oublié ce qui nous définit ? Ce qui nous distingue. Il s’agit peut-être de ce que nous considérons ou de ce que le regard des autres parfois cruel et destructeur nous renvoie tels des défauts, des tares puisqu’il ne les reconnait pas dans les normes que nous cherchons et considérons à tort comme des points de repère dans tous ces messages qui s’accumulent pour assoir notre inconscient collectif. Ceux-ci, balancés en vrac, favorisent sans aucun doute une manipulation de laquelle dérive la consommation qui contribue à nous dépersonnaliser. Il est assurément temps de s’éveiller à l’individualité.

Tout comme l’industriel et le produit en série commencent à lasser le consommateur pour tranquillement s’épuiser, « l’ humain-pensant » pourrait bientôt quémander des relations entre paires où les singularités seraient la preuve d’une authenticité toute artisanale. Au lieu de nous passer violemment au crible de l’usine qui fabrique en masse, regardons ce que nous pourrions bien donner si nous retournions au prototype fait maison, nous forger une vie conforme à notre être et ses valeurs et non pas à celle d’une doxa qui se définit toujours intrinsèquement contre l’individu.

Quelle richesse pour le monde, à supposer qu’il soit encore en évolution et non en dégénérescence, d’être apte à échanger entre créatures uniques partageant la condition humaine et non pas entre clones formatés écoutant tous la même musique, ayant lu les mêmes ouvrages, fait les mêmes voyages, vu les mêmes films, utilisant tous le même vocabulaire, finalement se ressemblant tous sur bien des niveaux parfois même insidieusement au travers d’une originalité et d’une créativité acceptées car calibrées.

Il ne suffira pas de lancer une mode pour que l’individu en tant que tel soit mis en priorité bien que l’urgence des solutions à établir pour que la race humaine ne meurt pas de son uniformisation ne soit pas encore prise en compte, car être soi-même, ça ne s’imite ni se copie, ça se travaille, ça se vit, ça ne se traduit pas, et c’est finalement ce qui fait toute la différence.

Des plis aux coins des yeux

 « Quand je serai grande », « Quand j’aurai terminé mes études », «  Quand j’aurai le job de rêve », « Quand j’aurai trouvé le bon »,

« Quand je serai stable ». Quand … Quand ? Quand ! Autant de questionnements intériorisés et subis inconsciemment qui nous conditionnent à avancer, à se fixer des buts, des objectifs, à se projeter sans cesse, à cocher sous forme de liste mentale ce qui est fait et ce qui reste à accomplir.
Ce matin-là, alors que mon reflet dans le miroir semble me regarder comme un étranger, je réalise. Je n’ai plus vingt ans, ni même vingt-cinq, j’en ai bientôt trente. Je n’ai pas vu venir ces plis aux coins des yeux, cette peau qui se fatigue imperceptiblement, cette cassure dans mon expression. Je suis une autre, je ne suis plus une jeune fille, ni même une jeune femme, je suis une femme. On m’appelle Madame. « Quand », c’est maintenant. Ma vie c’est « ça ».
Qu’est-ce que j’en fais ?
Changement de perspective déroutant mais plutôt libérateur si l’on choisit qu’il ne soit pas désespérant. Le présent n’est pas une instance à subir ou à investir en attendant.

Aujourd’hui, maintenant et ici, se demander plutôt si l’on est satisfait de qui on est, de sa relation ou situation, de son travail. Le « succès », « la réussite », résident dans la qualité d’un présent qu’il faut prendre le temps de bien vivre, au-delà de l’argent, des enfants que l’on fait ou pas. C’’est peut-être cela, tout simplement, qui se rapproche le plus, si l’on perçoit le sens profond, dénué de conventions sociales abrutissantes du verbe « se réaliser ».

« Carpe Diem »  donc ? Pas tout à fait, car ce « vivre l’instant » utilisé à tort et à travers occulte souvent la notion de projet, toute tentative de changements de direction ou d’amélioration. La vie n’est que rarement épanouissante « telle quelle », bien sûr qu’il est légitime de souhaiter la rendre meilleure, cependant, il est difficile de ne pas se perdre dans les deux extrêmes qui mènent à la frustration et au terrible « sur place » qui n’influencent malheureusement pas le cours du temps : le regret ou le projet irréalisable. « J’aurais dû », « J’aurais pu » « si seulement… » ou « si je gagnais à la loterie », « si j’avais un autre physique », « si je parlais mandarin ».

Nous nous démenons souvent pour tenter d’influencer l’Externe ou l’Autre, épuisant, harassant, inutile.  Face à notre miroir, choisissons de vivre ou de nier nos rides et le temps qui passe ne sera plus une souffrance fatalement surprenante, parce que des plis aux coins des yeux c’est aussi la vie qui reste dans la peau et pas seulement la mort que l’on se cache.

Oui !

Frédéric Beigbeder se serait marié. Le très cynique auteur dont l’œuvre « L’amour dure trois ans »  fait encore des émules parmi le large public des hésitants et traumatisés de l’engagement que nous sommes, même lui, le libertin, se serait rendu.  Qu’est-il donc en train de se produire pour que la fameuse institution, has been depuis quelques décennies, redevienne coutume au sein d’un public ne ressemblant pourtant en rien à des naïfs dogmatiques mais plutôt à des intellectuels instruits et éclairés. Le choix d’un certain modèle de stabilité serait-il gage d’un équilibre finalement plus séduisant à long terme que le véritable coût de l’indépendance ? Flash-back.

Les années septante parachèvent la destruction totale des fondements d’un système qui arrivait incontestablement au bout de ses limites. Une liberté de choix infinie fait place aux carcans de l’autorité familiale, religieuse et des dictats de l’économie en place. Succèdent pourtant abruptement à la  libération sexuelle, aux voyages intérieurs que provoquait l’accès facile aux drogues synthétiques, à la tentative de création de microcosmes échappant au capitalisme : le sida, les overdoses et la désillusion. « Peace & Love » est détrôné par « No Future ». Certains n’en sont jamais revenus. Et nous ?

Actuellement, la fenêtre des options ne cesse de croître mais le sentiment formidable de liberté est nuancé par l’angoisse de la lourde responsabilité des conséquences du choix individuel. Impossible de se cacher derrière l’influence de cadres désormais inexistants. Gouffre ou tremplin ? À une époque où il a été prouvé qu’on ne communiquait aussi mal que depuis que les moyens à disposition étaient si élaborés, on constate que ce panel d’opportunités, pourtant merveilleux et nécessaire sous bien des aspects conduit l’être humain à une certaine paralysie.

Jamais la possibilité de cursus de formation n’a été en Suisse aussi variée et complète, ainsi les jeunes prennent de plus en plus de temps à choisir leur voie et sont bien souvent à trente ans, encore aux études, plus riches de connaissance mais en mal d’indépendance financière et encore en quête d’accomplissement. L’hésitation qu’engendre le choix est contagieuse et touche aussi la sphère du couple désormais polymorphe et de plus en plus stérile. L’épanouissement personnel et l’esquisse du projet de la perpétuation de l’espèce seraient-ils inconciliables ? Le mal être ambiant, le taux de dépression et de dépendance est-il cause ou conséquence ? Peu importe, il faut bouger.

A chacun de trouver la force d’intégrer la richesse de la liberté qu’implique le verbe « choisir » à un mouvement qui dépasserait l’état d’inertie dans lequel on peut s’embourber. Sans proposer un retour en arrière réactionnaire qui serait terriblement néfaste, sans réhabiliter ou imposer des cadres mais plutôt en les remaniant afin que la personne renoue avec l’Humanité qu’elle aura choisie au lieu de s’en détacher au risque de se perdre dans une solitude qui sur la durée est égocentriquement mortelle et scientifiquement morbide. Le moment est peut-être venu, après tant de non, de se réapproprier le oui et de le dire en mouvement.

Pas de cadeaux

Nous voilà arrivés dans la période de « fièvre acheteuse ». Comble de l’absurdité, dans une société où 70% de la population se déclare athée, c’est  autour de l’anniversaire de la naissance de Jésus que le chiffre d’affaire des commerces atteint ses heures de gloire, comme si nous avions besoin de repères obligatoires qui ressemblent fortement à des échéances professionnelles pour se rappeler qu’il faut penser les uns aux autres, se rassembler entre proches.

Ces devoirs ne devraient pourtant pas en être et s’ils en sont pourquoi donc ne pas s’en affranchir ? Même les personnes les plus inconventionnelles n’osent échapper à la tradition du repas familial de Noël, cèdent au piège sournois pourtant ouvertement capitaliste et surfait de l’échange de cadeaux qui n’a plus rien du don d’autrefois et exclut l’idée même de reconnaissance que l’on peut au moins concéder au « Thanksgiving » américain.

Si les sociétés occidentales se vantent de s’être allègrement libérées de la culpabilité en lien aux principes moraux de la religion, on dirait qu’elles transfèrent ce sentiment sur le primat des conventions sociales, ainsi, qui ne se sentirait pas mal vu d’arriver les mains vides un 24 ou 25 décembre ?

Cette période se révèle propice pour réaliser qu’il est dès lors urgent de réinventer un code valable au-delà de la tradition commerciale ou archaïque qui nourrisse un système de valeurs cohérent avec notre mode de vie. N’attendons pas qu’on nous l’impose pour passer un moment avec ceux qui nous sont chers, faisons le choix de couper avec ceux que ne souhaitons pas voir et soignons les relations que nous décidons d’entretenir.Positionnons-nous, désobéissons, grandissons !
Au lieu d’acheter systématiquement pour manifester que nous pensons aux autres, prenons du temps pour eux, car, finalement, le cadeau n’est souvent rien d’autre que l’emballage d’une fausse attention. Le temps, voilà le problème, on arrive déjà pas à en prendre pour soi alors pour les autres ! ?

Et si le véritable cadeau au sens « présent » du terme c’était de savoir s’arrêter pour dégager ce temps si précieux ? S’arrêter de courir, de se forcer, de mettre de l’énergie dans le superficiel, stopper pour être capable de choisir ses priorités et enfin ne plus subir afin de ne pas tomber malade, en dépression ou en burnout car nous sommes aussi champions dans le domaine du mal-être tant nous voulons absolument être sur tous les fronts constamment, entre taux de suicide élevés, nombre record de personnes sous anxiolytiques ou antidépresseurs, nous faisons, en bons patriotes, fonctionner à grande vitesse les rouages de la pharmacopée locale.  N’y-a-t-il vraiment pas d’autres remèdes ?

Cette sensation de trop plein en fin d’année face à cette folie ambiante est plutôt symptôme de bon fonctionnement psychique.  Le philosophe indien Jiddu Krisnamurti dit : « Ce n’est pas un gage de bonne santé que d’être bien intégré dans une société profondément malade”.   En ce sens, résistons et osons poser nos règles correspondant à un rythme sain qui nous est personnel sans craindre le jugement du regard sociétal.Combien d’invitations avons-nous acceptées sans en profiter tellement nous étions fatigués, sélectionnons au lieu de dire oui à tout juste pour être validés, approuvés par une communauté cancéreuse.  Privilégions la qualité à la quantité, une vie bien pleine de choix assumés à une vie dispersée par les obligations et finalement creuse.

Cette année, je ne veux pas de cadeaux et je fais le choix de ne pas en faire si ce n’est celui du temps consacré pour ce et ceux que j’aime à commencer par moi, attentions choisies ou confectionnées en prenant réellement soin d’ imaginer le plaisir que cela pourrait procurer à l’autre sans échéances à respecter, sans magasins bondés à affronter, sans stress inutile accumulé, cette année offrons-nous le luxe de zapper les cadeaux au profit du véritable présent.

Putes & soumises

Alors que le mouvement féministe NPSNPS (ni putes ni soumises) nait en France il y a de cela 10 ans, on ne peut que tristement remarquer que son impulsion s’essouffle à mesure que l’exact opposé du slogan s’inscrit dans l’inconscient collectif de façon violente et contradictoire. Constat terriblement décevant et ironique, la femme libérée ne serait donc finalement rien d’autre qu’une pute.

Portrait d’une société qui a besoin de trouver son l’équilibre entre virginité et pornographie.

L’industrie musicale est sans doute un des domaines où le phénomène est le plus visiblement choquant. Prenons le tube de Robin Thicke, Blurred Lines[1] expliquant de quelle manière les femmes doivent être des : « gentilles filles », dociles comme : « des animaux qui doivent se laisser domestiquer ». Le clip illustre fidèlement le propos : trois hommes qui eux, ont le privilège d’être vêtus, entourés de filles presque nues, se frottant contre eux et se trémoussant en rampant, n’ont plus qu’à choisir la(es) chanceuse(s) qui sera(ont) la(es) plus « gentille(s) ».

Le titre est resté en tête des charts des mois durant. Dénoncé par les féministes comme l’un des clips les plus sexistes du moment, l’excellente parodie du mouvement d’opposition n’a malheureusement pas eu autant de succès car c’est bel et bien sur l’original que toute une génération danse, les mecs se prenant pour des macros, les filles tentant de ressembler à des professionnelles, les autres ne comprenant pas les paroles.

Là où le bât blesse c’est que les femmes font plus que jouer le jeu, elles enfoncent le clou. La dernière chanson de Britney Spears dont le titre Work Bitch[2] laisse peu de place à l’imagination en est l’une des démonstrations les plus flagrantes. Dans le clip, on y voit la chanteuse en sous-vêtements vulgaires fouetter une autre femme à quatre pattes en lui hurlant, traduit directement de la langue de Shakespeare que : «si elle veut un beau corps, elle doit travailler, salope ! », on peut remplacer « le beau corps »  par, entre autres,  « Maserati », « choses chères », « être belle en bikini » et nous avons fait le tour de la chanson. La consternation remplace l’analyse.

Bien sûr, je ne choisis que les sommets des icebergs de la culture de masse occidentale, parce la plus influente mais aussi la plus parlante sur le reflet crédible de la réalité sociale actuelle, bien loin des idéaux d’intellectuels féministes.

Changeons de sphère pour évoquer la publicité au travers d’une campagne réalisée par Peneloppe Cruz pour Agent provocateur, célèbre marque de lingerie. Certes, on ne s’attend pas à de la pudeur mais on ne s’imagine pas non plus tomber sur un porno à peine déguisé, au point qu’il est censuré sur UTube. Peneloppe Cruz déçoit et son cerveau semble avoir été remplacé par celui d’un adolescent pré-pubère à sexualité compulsive mais, que se passe-t-il ?

Autre phénomène surprenant, on assiste depuis quelques années à la presque canonisation des anciennes actrices x ou prostituées qu’on propulse au rang de muses ou de divas, loin des journaux connotés tels Playboy, c’est la presse féminine même qui leur fait la place belle. On pense à Clara Morgane fameuse actrice x qui se lance dans la réalisation d’un calendrier dont elle est l’égérie qu’elle décrit « artistique » mais dont la finalité n’est pas loin des films qui ont fait sa gloire. Nous pouvons aussi évoquer Zahia Zahar, ancienne prostituée, dorénavant créatrice de sous-vêtements dont elle est la représentante. Quand on sait que le très critique Karl Lagerfeld l’encense et lorsque l’on voit à quoi ressemble la collection, on reste sceptiques.  On s’inquiète surtout du fait que ces femmes passent du statut de fantasme à celui de modèles de réussite.

Enfin, si tant est que nous puissions parler de littérature lorsque nous traitons de best-sellers, nous prenons en compte le très fameux « Fifty Shades of Grey »[3] rédigé par une femme, E.L. James dont le roman met en vedette les ébats d’une jeune étudiante et celui d’un professeur d’université. Cela ne serait pas quelque peu dérangeant si l’écrit ne faisait pas l’apologie du sado-masochisme, infligeant bien sûr au caractère féminin, servitude, perversion et sadisme.

À en croire ces représentations visuelles, auditives et écrites, on dirait que les femmes n’ont pas trouvé d’autres moyens de se faire une place sur le devant de la scène qu’en se soumettant au prisme d’un regard dégradant autant pour la femme que l’homme qui s’impose en doxa et dont les conséquences ne sont pas encore mesurées.
Sans pour autant tomber dans l’extrême du puritanisme presque encouragé par l’abondance de ces messages, on pourrait imaginer que le défi de la femme actuelle serait d’assumer sa féminité et sa sexualité dans une autre sphère que celle de la vulgarité afin qu’en plus de la regarder, on puisse enfin (ré)apprendre à l’écouter.

[1] «Limites floues»[2] «Travaille salope»[3] «Cinquantes nuances de gris»

Femmes en série

Ça bouge un peu au niveau de l’implantation de nouveaux modèles du genre dans les séries T.V. Marre de ces personnages supposés représenter une population concrète alors qu’ils ne font qu’ assoir le primat de stéréotypes qui nous conditionnent ou nous complexent. En piochant au hasard: Sex & The City, Desperate Housewives, Gossip girl, toutes incarnent un groupe de femmes au sein duquel des personnalités type se côtoient. A la réalisation, on ne voit quasi exclusivement que des hommes… Il aurait été mal connaître l’esprit féminin que de croire qu’il n’allait pas enfin décider d’intervenir d’urgence pour corriger un référentiel qui fait bien trop de dégâts.

Avec un peu de recul, on réalise qu’il faudrait observer et analyser avec une saine distance ces vies censées dupliquer les nôtres sur le mode visuel. Certes, il arrive que nous puissions nous identifier de temps à autre au travers d’un exercice psychologique de projection plus ou moins laborieux à ces fameuses héroïnes. Toutefois, comment ne pas se sentir révoltées, déprimées, décalées quand on ne pèse pas 40 kilos à quarante ans ( voir dans Desperate Housewives, Teri Hatcher, Marcia Cross, Nicollette Sheridan et les autres) ou qu’en bonne célibataire on enchaîne pas les amants de façon débridée à l’image de Carrie et ses copines en buvant des cocktails à longueur d’année sans en foutre une et ne jamais se protéger, ou encore, lorsque l’on ne fait pas partie d’une élite richissime ressemblant à des poupées lisses qui ont des problèmes qu’on jalouserait presque.

Il serait plus qu’essentiel d’avoir l’œil attentif et bien ouvert sur ces séries. Qu’on le veuille ou non, elles font définitivement partie intégrante des messages qui s’ancrent dans l’inconscient collectif. Lui, bien sûr, est loin de se réveiller pour faire de la prévention contre les cirrhoses du foi, les maladies sexuellement transmissibles, l’endettement, l’auto-sabotage qu’engendre l’exclusion par le système de classes sociales ou diktats physiques. Ils sont beaux nos modèles, n’est-ce pas ? Bien ficelés… c’est quand la saison prochaine ? Ouf, une nouvelle ère explose.

Parmi ces écrans de fumée ainsi savamment mis en abyme dont je ne cite que les exemples les plus éloquents, des femmes ont décidé qu’il était temps de l’ouvrir. Il aura fallu qu’elles soient réalisatrices et actrices de leurs propres séries, qu’elles aient quelque chose d’essentiel à faire passer et qu’elles osent l’incarner au risque de s’afficher. Je pense à Lena Dunham auteure de la série « Girls » et à Mindy Kaling réalisatrice de « Mindy Project ».Ces deux femmes partagent une humanité traduite au féminin. Elles osent raconter ces coups de la réalité pris en pleine face alors qu’elles restent des rêveuses acharnées malgré la force et le carriérisme dont elles doivent faire preuve afin de « réussir ». Avec humour ou cynisme, elles parlent de la solitude, elles disent la souffrance de ne pas correspondre aux canons actuels physiques et sociaux culturels, du décalage intellectuel, des histoires glauques, de la tristesse du sexe râté, de la mort, des problèmes d’argent, du racisme, de l’horloge biologique en conflit avec l’ambition, de la difficulté de vivre en taille 40 etc… bref : elles parlent vrai.

Il n’y a pas de miracle, quand  » ça sent le vécu », quand « on parle en je » quand on s’expose et qu’on donne, ça touche. Alors, il y a de l’espoir les filles parce que les vraies femmes ne sont pas prêtes de quitter l’écran qu’elles ont su effacer. Notre rôle est d’importance : à nous de faire l’audience.

Partagez !

Tout se partage désormais : des petits mouvements d’humeur aux plus grands états d’âme.  Libre à nous de nous mettre en scène, de choisir une posture qui s’incarnera comme le slogan de notre nom fictif ou réel. Si nous avons presque tous succombé à la folie des réseaux sociaux, nous sommes très certainement en train d’en pressentir ses limites et de réaliser le fait indéniable qu’elle imprime dans notre collectivité une trace indélébile. Nous poussant vers une schizophrénie dont les contours se situent entre voyeurisme et exhibitionnisme, une boîte de pandore s’est ouverte. Le piège se referme. On en redemande, avides d’un reflet qui nous échappe.

Dans une légitime quête de reconnaissance, l’être humain se compare, souhaite se valoriser, à tout prix exister aux yeux du plus grand nombre de regards qui recherchent eux-mêmes, au travers de ces liens fictifs, un retour conciliant. Bien sûr, certains savent utiliser ces outils de manière saine et cohérente. J’avoue ne pas en être tout à fait là. Et pour une majorité, derrière le besoin de partager, se cache plutôt celui moins noble de se rassurer, de susciter l’admiration ou tout simplement d’être « en relation ». Jusque là, rien de si négatif me direz-vous. Les choses se gâtent lorsque l’image prend le dessus sur l’expérience du moment vécu.

En effet, hormis les hyper mimétiques, ma génération n’est pas complètement contaminée. Observez un peu la suivante : pas un moment qui ne soit frénétiquement photographié pour être instantanément exposé. Loin de la juger, cette mode intègre dès lors chez les jeune un phénomène qui touche à l’habitus et qui doit absolument être conscientisé afin de ne pas se muer en une pathologie qui pourrait bien être celle de notre siècle.

Avons-nous perdu toute notion d’intimité ?

Bien qu’il y aient de nombreux éléments bénéfiques au fait d’ assouvir n’importe quelle curiosité par le biais d’internet, tous les mystères ainsi étalés, s’ils servent parfois à canaliser nos angoisses, ne sont-il pas aussi et surtout des freins à une réflexion personnelle ?

Derrière ces images dispersées, peut-être est-il temps d’aller se rechercher et se retrouver dans le silence bavard d’une relation de chair, d’amour ou d’amitié. C’est très certainement dans cet espace de vie, concret et limité, dans l’expérience ineffable de l’instant, que se situe le véritable partage.

Fuck porn !

Partout, sur les réseaux sociaux, dans la presse, à la télévision, à la radio, overdose de « porn ».

Après le succès du « Food-Porn », on assiste à l’avènement de la tendance « Earth Porn ». Ces anglicismes définissent actuellement et dans le monde entier, le goût et l’esthétique d’un plat ou encore la splendeur d’un paysage. Derrière ce qui semble être un simple phénomène de mode se cache un véritable glissement de significations linguistiques et sociales. On puise désormais dans le vocabulaire du « trash », du « vulgaire », du « porno », pour caractériser ce que l’on trouve beau.

Il ne s’agit pas ici de remettre une énième fois en question la définition du « bon goût » mais bien de s’interroger quant à l’origine de ces appellations récentes. Le porno en soi, aurait-il, à force de surenchères et surexpositions, atteint ses limites ? L’intérêt, le plaisir causé par la sensation de transgression serait-il dépassé par tant d’accessibilité, d’affichage, au point peut-être de devoir déborder sur des sphères autres que celle du sexe ? Comme si, on avait besoin désormais de trouver son « excitation » ailleurs.

Débandade.
Reprenons donc aux préliminaires.

Je suis de celles qui pensent que les petits plaisirs de la vie en font sa grande saveur. Ainsi, qu’ils soient gustatifs, visuels ou charnels, il faut, puisqu’on ne sait plus, réapprendre à les apprécier. Pour ce faire, ils doivent nous apparaître à nouveau au travers d’un prisme dévulgarisé, personnalisé que nous devons nous créer et non sous l’imposition de la forme de fantasmes imposés en norme. Je suis de celles qui sont persuadées que l’érotisme est bien plus électrisant et durable que la facilité qu’implique la «pornoïsation» de toute une société.

En effet, dans tous les domaines, on recourt aux raccourcis. On ne courtise plus, on n’imagine plus, on n’attend même plus. On nie le plaisir que procure l’effort, la préparation, on consomme jusqu’à la nausée, au dégoût et on passe à autre chose. Vu sous cet angle, pas étonnant que la vie devienne carrément déprimante, alors, parce que je pense que ces petits plaisirs sont carrément sacrés, je dis : FUCK PORN !